Pour une campagne politique permanente

En mémoire d’Alo Noël LEMOU,
journaliste, militant anticolonialiste et secrétaire général d’Attac Togo,
mort tragiquement le 18 novembre dernier, à l’âge de 30 ans[1].

Dans le cadre de sa campagne politique permanente, antiraciste, antifasciste et anti-impérialiste, Rejoignons-nous propose de construire, avec les collectifs et personnes qui le souhaiteront, une série d’initiatives pour en finir avec la Françafrique et l’impérialisme français, dans le prolongement des activités du contre-Sommet Afrique-France qui ont eu lieu du 2 au 10 octobre 2021à Montpellier[2], et avec la perspective d’une intervention dans les débats publics en vue des élections présidentielles et législatives de 2022. L’heure est grave, et notre capacité d’action limitée. Mais nous lançons un appel : il est temps que le mouvement social et les organisations politiques de notre camp s’engagent massivement à l’encontre du néocolonialisme et du militarisme de l’État français.

Racisme, militarisme, néocolonialisme

 Les politiques racistes du gouvernement (loi sur les « séparatismes », dissolution du CCIF et du CRI, campagne contre « l’islamogauchisme » et les études postcoloniales à l’Université et dans l’Éducation nationale…), le racisme structurel des institutions politiques, manifestes notamment dans l’exercice des violences policières dans les quartiers populaires et de la répression des migrants, et plus largement le processus de fascisation qui est en cours dans la société française, sont inséparables des guerres impérialistes et des activités néocoloniales menées par l’État français. Comme le montrent par exemple les travaux du sociologue et militant du FUIQP Said Bouamama[3], les dominations militaires et néocoloniales à l’étranger d’un côté et, de l’autre, l’autoritarisme et le programme « sécuritaire » de l’État français dans l’espace national, ne sont que les deux faces d’une même logique impérialiste cherchant coûte que coûte, malgré les refus réitérés des peuples, à se maintenir.

Mais où ont eu lieu les manifestations, les formations et les débats, par exemple, contre la guerre menée depuis 2013 dans l’arc sahélien, et spécialement au Mali, qui a causé des dizaines de milliers de morts pour le maintien du pré-carré néocolonial de la France ? Où est la solidarité avec les récentes et courageuses mobilisations pacifiques contre le redéploiement de l’armée française au Burkina Faso et au Niger ? Et qui s’est mobilisé contre les ventes d’armes à des dictatures responsables de la répression féroce des printemps arabes (en Égypte notamment) ou des guerres parmi les plus meurtrières de la période (voir la guerre menée par l’Arabie saoudite au Yemen) ? Qui sait que la politique de répression des migrant.e.s aux frontières de l’Europe est un marché fructueux pour l’industrie navale et militaire française ? Et quels candidats, quelles forces organisées engagées dans les élections présidentielles et législatives françaises font savoir que la France est le troisième exportateur de matériel militaire dans le monde, et proposent d’en finir avec ce honteux et terrible état de fait ?

On fera remarquer que l’impérialisme français, et la faiblesse de sa contestation, ne sont pas nouveaux. Et il est vrai que, sans même remonter à l’histoire structurante du colonialisme français, ces trente dernières années, plusieurs rendez-vous historiques ont été manqués de se mobiliser à une grande échelle, notamment contre les complicités de l’État français dans le génocide rwandais (en 1994), sous la présidence de François Mitterrand et avec l’opération Turquoise ; contre la guerre civile en Côte d’Ivoire, menée à l’initiative de l’Elysée (sous les présidences successives de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy) entre 2002 et 2011 avec la présence impuissante ou complice des forces de l’opération Licorne ;  ou encore contre l’intervention armée de la France en Libye (en 2011), aux côtés des USA et de la Grande Bretagne, qui a conduit à la destruction des équilibres régionaux et à un état de guerre permanent dans ce pays. De même, les mobilisations populaires interafricaines dans l’espace francophone de 1989 et 1991, les mouvements sociaux dans les Outremers, dans les années 2010 par exemple contre la Pwofitasyon en Guadeloupe et en Martinique, qui ressurgissent actuellement d’une manière insurrectionnelle, encore le mouvement récent en Afrique subsaharienne contre le franc CFA, n’ont pas connu de réel relais au niveau des forces progressistes et internationalistes en France.

Leur impérialisme, nos responsabilités

Certes, il est vrai que des associations spécifiques (comme Survie, le CADTM ou le Cedetim), des collectifs (Ni guerre ni état de guerre, Marche des Solidarités) et des travaux d’historien.ne.s (comme ceux de Benjamin Stora ou d’Olivier Le Cour Grandmaison), peuvent contribuer parfois, par leur remarquable travail, à faire avancer les choses, comme cela a été le cas pour les reconnaissances symboliques, du reste partielles et insatisfaisantes, des responsabilités de l’État français dans le génocide des Tutsis au Rwanda ou dans le massacre d’Algériens proches du FLN par la police française le 17 octobre 1961 à Paris. Mais il est non moins vrai, par exemple, qu’il n’y a pas eu de véritable contestation organisée du mouvement social à l’encontre de la signature des APE (Accords de partenariat économique) entre l’Union européenne et les pays africains, alors que le mouvement anti-TAFTA et anti-CETA a fait l’objet d’un important effort de médiatisation. Comment expliquer le manque de mobilisation, et parfois le silence prolongé, du mouvement social français et de la gauche politique par rapport au néocolonialisme et à la Françafrique ? Alors même que les forces d’extrême droite sont créditées d’un score pouvant aller jusqu’à 34 % pour la présidentielle de 2022 et que, de concert avec l’extrême-centre au gouvernement, elles saturent l’espace médiatique et politique de leurs éléments de programme et de discours nationalistes et xénophobes. Tandis que la gauche, en raison de renoncements et d’ambiguïtés concernant l’anti-impérialisme et l’antiracisme ou bien de divisions et d’électoralisme, est marginalisée et impuissante…

Ce lourd déficit coïncide, bien sûr, avec la constante déperdition des forces altermondialistes depuis les années 1990, et avec le déclin actuel de toute perspective crédible de gouvernement populaire et internationaliste en France. Des facteurs sont en cause, comme la prégnance dans le mouvement social d’un cadre idéologique ethnocentré, le maintien d’une conception économiciste de la politique, le déclin de l’éducation populaire, mais aussi la résurgence d’éléments de xénophobie et de racisme, et particulièrement d’islamophobie, dont la gauche, y compris radicale, n’est pas exempte.

Il est grand temps que nous nous saisissions collectivement et à une grande échelle de la nécessaire formation concernant la nouvelle situation géopolitique de l’impérialisme français dans son contexte euro-occidental, de la nécessaire contestation des politiques néocoloniales et militaristes menées par l’État en notre nom, et de l’indispensable politique de solidarité et de coopération active à mener avec les forces progressistes, particulièrement au Maghreb et en Afrique subsaharienne.

Pour une campagne politique permanente 

Sur la base de ces constats et analyses, et particulièrement dans la période pré-électorale à venir, nous proposons donc de contribuer à une campagne autour de deux axes :

– la dénonciation et le combat pour en finir avec la Françafrique et l’impérialisme de l’État français : avec des revendications telles que l’arrêt de la coopération militaire et politique avec des régimes autoritaires, la prise de sanctions pénales à l’égard des entreprises corruptrices et destructrices de l’environnement (Bouygues, Bolloré, etc), la collaboration avec les instances progressistes africaines pour le remplacement de la monnaie néocoloniale du franc CFA, la fin de la politique néocoloniale dans les territoires d’Outremer, etc.

– l’arrêt des activités mortifères de l’armée et de l’industrie militaire françaises : arrêt des opérations militaires extérieures de la France (en ciblant en premier lieu l’opération Barkhane dans le Sahel), arrêt des ventes d’armes à des dictatures, reconversion d’industries militaires ciblées et démantèlement du nucléaire, retrait de l’OTAN, reconnaissance du caractère écocide de l’industrie militaire, réallocation d’une partie du budget militaire vers les secteurs du soin, de l’éducation, de la coopération internationale et de la paix civile, etc.[4]

A ces éléments principaux de programme doivent s’en ajouter d’autres comme l’exigence de l’arrêt de la censure et des désinformations dans les médias publics concernant l’actualité des relations avec les anciennes colonies et les Outre-mer, ainsi que la vie dans les quartiers populaires. Ainsi qu’un enseignement plus important de l’histoire coloniale, de l’arabe et de la littérature francophone.  

Nous proposons à tous les collectifs, toutes les personnes qui le souhaitent de rejoindre nos forces pour faire exister ces combats anti-impérialistes dans le débat public dans les prochains mois, et pour construire une campagne politique permanente (formations, rencontres, interventions médiatiques, solidarité concrète, etc) capable, à terme, d’engager un rapport de force avec les puissants lobbies d’intérêts impérialistes, néocolonialistes et militaires français.

 [1] Voir par exemple cet hommage du groupe Afrique d’Attac : https://blogs.attac.org/groupe-afrique/article/hommage-a-notre-camarade-alo-noel-lemou

[2] Colloque de Montpellier sur l’annulation des sommets France-Afrique (2 octobre)
https://annulation-sommet-afrique-france.fr/category/communications.html
https://survie.org/themes/francafrique/article/programme-du-contre-sommet-afrique-france-a-montpellier-du-6-au-10-octobre-2021

[3] Voir par exemple Saïd Bouamama, Des classes dangereuses à l’ennemi intérieur. Capîtalisme, immigrations, racisme, Syllepse, 2021 et « La secondarisation de l’impérialisme français » https://bouamamas.wordpress.com/2021/10/12/la-secondarisation-de-limperialisme-francais/#more-728

[4] Sur ces questions programmatiques, voir Martine Boudet (coord), Résistances africaines à la domination néocoloniale (Le Croquant, 2021) https://editions-croquant.org/actualite-politique-et-sociale/710-resistances-africaines.html

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