La campagne pour l’élection présidentielle de 2022 prend place dans une situation politique lourde de dangers tant les crises sont multiples. Elle est marquée – dans un contexte d’une offensive néolibérale systématique et destructrice, de crises écologiques majeures ayant des effets sur toutes les conditions de vie et de lutte – par des processus de fascisation qui travaillent la société en profondeur depuis plusieurs années et dont les manifestations les plus visibles sont les campagnes islamophobes et racistes qui se succèdent et se radicalisent avec des violences policières qui se multiplient et s’étendent depuis les quartiers populaires jusqu’aux mouvements sociaux. Ces processus se sont accélérés ces dernières années et font de la menace néofasciste une réalité concrète. Ce constat permet de saisir les enjeux spécifiques de la séquence ouverte depuis quelques mois autour de l’élection présidentielle.
Cette élection joue un rôle central dans l’architecture institutionnelle de la Ve République. Elle concentre et met en évidence toutes les tares antidémocratiques de ses institutions : personnalisation à outrance, figure de l’homme providentiel, autoritarisme d’Etat, marginalisation du pouvoir législatif… Elle est donc un élément clé de la crise de la représentation politique et contribue à lui donner une ampleur toute particulière en France. Elle est aussi un moment contradictoire qui combine conceptions dépolitisantes de la politique et formes de politisation dans la société et ses résultats contribuent à modifier les conditions politiques des combats de celles et ceux d’en bas. A ce titre, on ne peut pas s’en désintéresser, en particulier quand s’y joue en partie la question de la menace néofasciste.
En effet, les intentions de vote pour des candidat.es d’extrême droite, principalement Le Pen et Zemmour, sont à des niveaux très élevés depuis plusieurs mois. Si leurs stratégies diffèrent, ces deux candidatures incarnent un projet de nature fasciste qui fantasme un peuple homogène « purifié » de ses éléments considérés comme « étrangers » : elles reposent sur le refus radical de l’égalité et véhiculent un imaginaire politique de l’épuration ethnique avec son cortège de violences de masse. Leur victoire – dont la possibilité ne peut être balayée d’un revers de main – se traduirait immédiatement par une rupture dans l’exercice des violences (de la part de l’Etat et au sein de la société) et la mise en œuvre de politiques racistes et liberticides.
De leur côté, les candidatures de droite – Macron et Pécresse -, tout comme Zemmour, proposent une radicalisation néolibérale de poursuite de la destruction de toute forme de solidarité collective et de biens communs qui s’accompagne de l’aggravation de l’autoritarisme et des violences d’Etat. A cela s’ajoute des positions toujours plus identitaires et islamophobes – comme avec le vote de la « loi séparatisme » ou la reprise du mythe raciste du « grand remplacement », du terme discriminatoire « français de papier » ou encore de la notion absurde de « territoires perdus de la République » dans la continuité des années Sarkozy et Hollande/Valls. Ces candidatures participent à aggraver les processus de fascisation en mettant au centre du débat public – et donc en légitimant – des idées qui véhiculent au final la construction d’un ennemi de l’intérieur.
Face à cela, la gauche lorsqu’elle n’utilise pas elle-même ce registre aux relents coloniaux, apparaît en miettes et affaiblie.
Alors qu’existent dans la société des aspirations émancipatrices fortes telles que révélées par les mouvement sociaux des dernières années ou par la vitalité des mobilisations écologistes, féministes et antiracistes, les organisations de gauche n’ont jamais été aussi faibles du point de vue électoral et ce malgré le fait que les enquêtes d’opinion donnent systématiquement la question du pouvoir d’achat comme étant la principale « préoccupation des français ». Si l’on peut trouver des explications à cette situation chez les partis et candidat.e.s de gauche, c’est en premier lieu une conséquence des multiples renoncements et trahisons de la « gauche de gouvernement » depuis sa conversion au néolibéralisme dans les années 1980 jusqu’au choix de poursuivre les politiques autoritaires et racistes de la droite pendant le quinquennat de François Hollande : loi travail, répression des mobilisations sociales, politiques anti-migrant.e.s, constitutionnalisation de l’état d’urgence, projet de loi sur la déchéance de nationalité… Ces éléments permettent d’expliquer très largement les échecs des tentatives unitaires qui ont essayé de répondre aux légitimes aspirations à l’unité de l’électorat de gauche mais sans prendre à bras le corps la question du lourd passif de la « gauche de gouvernement ». Plus récemment, on a pu voir des représentant.e.s du Parti Socialiste, d’Europe Ecologie Les Verts ou du Parti Communiste Français à une manifestation policière factieuse et fascisante demandant la fin de l’état de droit et la mise sous tutelle de la justice par le pouvoir policier.
Dans cette situation lourde de dangers, les classes populaires – et en particulier les plus jeunes – semblent pour l’instant se désintéresser plus qu’auparavant des enjeux électoraux même si des candidatures semblent représenter, de différentes manières et avec des limites importantes, certaines des aspirations émancipatrices présentes dans la société.
A ce jour, la candidature de Jean-Luc Mélenchon semble être celle vers laquelle la plus grande partie des électrices et électeurs de gauche se tournent, sans véritable engouement populaire. L’absence de toute perspective anticapitaliste, le fonctionnement autocentré de son mouvement gazeux (la France Insoumise) exprimant son refus de construire toute organisation démocratique des dominé-e-s, et certaines prises de position très problématiques – comme les références aux soi-disant « intérêts de la Nation » – sont éloignées du projet politique que nous portons. Néanmoins, dans la situation actuelle, sa candidature semble permettre l’expression électorale d’une forme d’autodéfense de notre camp social : le refus de la misère et des inégalités, de la destruction des droits collectifs, de l’inaction climatique, des violences policières, du racisme et de l’islamophobie (un changement radical de discours depuis quelques années sur ce dernier point étant à souligner). Qu’il ait été l’une des principales cibles des campagnes délirantes contre les « islamo-gauchistes » en est l’illustration.
Philippe Poutou, par ce qu’il représente et ce qu’il porte dans sa campagne, est une candidature en rupture avec les codes traditionnels de la politique institutionnelle et fait vivre une radicalité politique sociale, écologique, antiraciste et démocratique que nous partageons largement. Mais son analyse de la situation et les orientations tactiques qui en découlent le poussent pour partie à une culture politique volontairement minoritaire et le cantonnent à une certaine forme de marginalité.
Pour d’autres électrices et électeurs, c’est sur la personnalité « de gauche » la mieux placée à la veille de l’élection que se porteront leur suffrage, même si l’écart entre ce qu’elle propose et leurs combats est grand. Ces différentes stratégies expriment toutes des formes de refus des politiques néolibérales, des effets des crises écologiques et dela fascisation en cours et à ce titre sont légitimes dans le cadre de l’urgence antifasciste qui caractérise la période et qui est l’un des enjeux essentiels de l’élection présidentielle.
Quels que soient les résultats au soir du premier tour de l’élection présidentielle – et même si un.e candidat.e de notre camp parvenait à se hisser au second tour – il parait difficile d’envisager une victoire. Cependant, nous devons tout faire pour ouvrir de nouveaux horizons. Pour travailler aux conditions nécessaires à de futures victoires, il est nécessaire de reconstruire dès maintenant une gauche démocratique anticapitaliste, qui se bat pour toutes les égalités et pour un modèle de développement écologique. Une gauche porteuse d’un nouveau projet émancipateur, d’une nouvelle culture politique permettant d’inclure toutes celles et ceux, en particulier les plus jeunes, qui se détournent légitimement des organisations politiques actuelles.
C’est le sens de l’appel publié le 14 février 2022 par Rejoignons-nous ainsi que PEPS (Pour une Ecologie Populaire et Sociale) et l’Offensive : se retrouver et bâtir toutes et tous ensemble la nouvelle organisation politique dont nous avons besoin pour retrouver l’espoir et le chemin de la victoire.